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Clair et court : réforme des droits d'auteur dans l'UE

29 mars 2019

Le partage de l'information occupe une place centrale dans le monde d'aujourd'hui. L'Union européenne souhaite adapter les droits d'auteur à la nouvelle réalité de l'internet. Les articles 15 et 17 de la directive sur le « Droit d'auteur dans le marché unique numérique » suscitent cependant la controverse. Que disent ces textes ? Et pourquoi les réactions sont-elles aussi véhémentes ? 

Historique

Trouver un compromis entre la protection des droits d'auteur et le partage de l'information sur internet : tel était le but de la réforme du droit d'auteur envisagée par l'UE. La législation actuelle en la matière date en effet de 2001, longtemps avant l'avènement de Facebook, Twitter, etc.… 

L'apparition des réseaux sociaux a conduit au partage massif des contenus. Nous sommes tous concernés. Une citation avec une illustration se répand instantanément sur Facebook, Twitter et Instagram. Il est tout aussi facile d'extraire un fragment de film pour en faire un GIF qui vous permettra d'exprimer un sentiment : étonnement, colère… Sans parler des contenus que nous propageons sur YouTube et autres réseaux de vidéos.

Involontairement ou délibérément, l'internaute enfreint de cette façon les droits d'auteur. Mais il y a plus important : les géants d'internet comme Facebook et Google ne se contentent pas de fermer les yeux. Ils en tirent de juteux profits. Sans ces « user generated contents », les réseaux sociaux seraient bien monotones. Nous pouvons même dire que les géants d'internet engrangent des recettes publicitaires sur le dos des créateurs de contenus. 

Et n'oublions pas les « scrapers », qui se servent de bots pour aller chercher automatiquement les contenus sur d'autres sites web, les réemballer et les diffuser comme les leurs. Certains sites d'actualités, les « agrégateurs », s'adonnent à ces pratiques, mais ce ne sont pas les seuls. Google est dans le collimateur de la réglementation avec son Google News.

Une réforme des droits d'auteur s'imposait donc pour préserver l'héritage culturel des États membres et pour veiller à la rétribution équitable des éditeurs, diffuseurs et artistes. Des négociations ont commencé et une première version de la nouvelle directive a été mise au point. Mais elle a rencontré de fortes résistances, et l'été dernier, elle n'a pas obtenu les suffrages nécessaires. 

En février de cette année, les négociateurs des États membres, de la Commission européenne et du Parlement européen sont arrivés à un compromis. Dans la nouvelle directive (voir ici le texte complet), ce sont surtout l'art. 15  (ex-art. 11) et l'art. 17  (ex-art. 13) qui alimentent la controverse.

Article 15 : la taxe sur les liens

En résumé, d'après l'article 15, l'éditeur d'une publication de presse a droit à une rétribution lorsque son article fait l'objet d'un lien sur une plateforme en ligne. Cette disposition a tout de suite été considérée comme une « taxe sur les liens » : celui qui refuse de l'acquitter ne pourra plus publier de liens vers un article, affirmaient les détracteurs de la mesure.

Cette crainte est sans fondement. Vous êtes toujours libre d'inclure un lien vers un article, lien accompagné de quelques mots du texte référencé. Les exceptions aux droits d'auteur que nous connaissions jusqu'à présent, par exemple la faculté de citer une publication de presse, restent en place. 

Le changement concernera surtout les plateformes d'information comme Google News ou les « scrapers » qui réemballent les contenus des sites d'actualités. 

(Voir ici les détails de l'article 15) 

Concrètement : qu'est-ce que cela implique pour vous ?

Si vous êtes un particulier, rien ne change : le fait de copier des articles complets ou de longs extraits était déjà et reste une violation du droit d'auteur.  En revanche, les liens vers des articles sont toujours possibles.

Vous exploitez un site web avec des textes dans lesquels vous faites référence à des publications de presse ? Dans ce cas, vous ne pouvez utiliser à cette fin que de brefs extraits, comme les snippets. Les agrégateurs de nouvelles comme Google News et les moteurs de recherche (Google, Bing…) devront quant à eux adapter leur méthode ou acheter des licences aux éditeurs.

En ce qui concerne les autres acteurs internet (registrars, registries, hébergeurs), rien ne change en principe. Comme auparavant, la responsabilité des liens incombe à l'exploitant individuel du site internet.

Article 17 (ex-art. 13) : filtres à la mise en ligne

Cet article s'applique aux plateformes en ligne principalement destinées au partage de contenus entre internautes. Les plateformes sont tenues de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que les contenus faisant l'objet de droits d'auteur (musique, vidéo...) soient mis en ligne sans l'autorisation des titulaires de ces droits (vidéastes, musiciens, sociétés de droits d'auteur comme la SABAM, maisons de disques, etc.).

Si un contenu est tout de même publié sans le consentement de l'ayant-droit, la plateforme doit s'efforcer de veiller à la rémunération de celui-ci. Si elle n'y parvient pas, elle doit éliminer le contenu.
Bien que les plateformes en ligne soient libres de contrôler les contenus à publier, on craint qu'elles n'optent pour les filtres à la mise en ligne. Ces filtres, en effet, ne sont pas infaillibles. Ils manquent de précision : certains contenus légitimes (parodies, satires…) risquent d'être bloqués.  L'article 17 prévoit plusieurs mesures pour y remédier. 

(Vous trouverez ici les détails de l'article 17.)

Concrètement : qu'est-ce que cela implique pour vous ?

En tant que particulier, rien ne change pour vous. Comme par le passé, vous ne pouvez pas mettre en ligne des contenus protégés par droit d'auteur. Mais cela ne vous concerne sûrement pas, n'est-ce pas ? Si vous le faites quand même, le site web sur lequel vous publiez ces contenus peut vous tenir pour responsable du préjudice qu'il subit à cause de cette publication sans l'autorisation de l'ayant-droit. En ce qui concerne les parodies et satires, rien ne change. Une exception explicite porte sur les mèmes et les GIF.

En tant qu'exploitant d'un site web : pas de changement pour vous à condition que la publication et la diffusion de contenus (protégés par le droit d'auteur) ne constituent pas la finalité de votre site web et ne poursuivent pas de but lucratif (par exemple recettes publicitaires). 
Si c'est le cas, vous devez respecter les règles énoncées plus haut et demander l'autorisation du titulaire de la licence avant de mettre en ligne des contenus protégés. En l'absence de consentement de l'ayant-droit, vous devez rendre les contenus indisponibles. Libre à vous de choisir la méthode de filtrage, mais l'UE est opposée aux filtres portant sur tous les contenus. 
Une exception est cependant prévue pour les sites web en cours de démarrage et les petits acteurs.

Pour les autres acteurs internet, rien ne change. Les fournisseurs de services internet comme Telenet ou Proximus, l'agent qui enregistre les noms de domaine, le registry qui gère un Top Level Domain et les hébergeurs savent désormais à quoi s'en tenir. La responsabilité pèse sur l'exploitant du site web (information society service provider ou content sharing service provider ). Un hébergeur, par exemple, ne peut être tenu d'installer des filtres supplémentaires.

Et maintenant ?

Les protestations les plus vives contre la réforme sont notamment venues de Bits of Freedom. Cette organisation craint qu'à l'avenir, on n'installe des filtres non seulement pour le copyright, mais aussi pour les contenus terroristes ou explicites, les fausses nouvelles et l'incitation à la haine. Cela déboucherait sur une surveillance générale de tout ce qui se dit ou se fait en ligne.

Plusieurs amendements ont été déposés début 2019, notamment pour supprimer les articles 15 et 17 de la directive. Ces amendements ont été rejetés le 26 mars 2019. Les États membres de l'UE doivent encore approuver les textes du Parlement européen. Ensuite, ils auront deux ans pour transposer concrètement la directive dans leur législation nationale.

Avec cet article, nous contribuons à réaliser ces objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies.